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Mathias Kusnierz (à propos de unflowers, de Radio Disorder):

Unflowers est le premier album de Radio Disorder, projet folk noise mené par Bill Van Cutten (voix, guitares, synthés, électronique, boite à rythme et basse) et Malo Dubouetiez (guitares, voix, batterie et basse). Un premier album qui jouit tout de même de diverses expériences musicales : un premier album autoproduit pour Bill Van Cutten (Depraved Milk, en 2007) et plusieurs participations de sa part à la musique des autres : avec les Suédois de Balroynigress, avec Christian Wolff pour la musique expérimentale américaine, et en beat maker avec l’anglais James Reindeer. Après une poignée de concerts à Paris, Brême, Gotenborg, Stockholm, Bruxelles, Berlin et Londres, l’heure était venue d’un premier album qui paraît le 25 mai sur l’excellent label londonien Decorative Stamp et qui fait honneur aux groupes dont se nourrit Radio Disorder (Xiu Xiu, Six Organs of Admittance, au hasard).

Une dizaine de compositions qui naviguent entre folk sur la corde raide (Automatic Sunshine Breaker, Camden), rock à tendance noisy mais pas que (Pressure, Cyclone) et compositions plus nettement pop (Princess of a Desperate Cartoon). On ne saurait dire dans quel registre le duo se défend le mieux : c’est plutôt dans l’alternance des atmosphères et des états d’esprit que le projet trouve sa vitesse de croisière. Celle-ci : mid-tempo, mélancolique sans manquer d’énergie, variant timbres et effets. Unflowers abonde en vraies réussites : du très beau Camden au très rêveur Princess of a Desperate Cartoon, avant de se clore sur Adrian’s Adrenaline, Unflowers joue le plus souvent la carte d’un folk à l’émotion en sourdine et intense à la fois, relancée par des surprises (la reprise au milieu de Princess), des instruments inattendus qui font soudain irruption au milieu des compositions (le synthé de Tender Bar Tender, les sons électroniques de Your Pain) ou des effets un peu décalés (la pédale trémolo de Cocaine Belt, les reverses sur la guitare d’Adrian’s Adrenaline). A la fin, la sophistication sans affèterie de Radio Disorder emporte le morceau : leur folk aventureux sans être abscons, expérimental et pop à la fois est une excellente surprise qui tranche avec le tout-venant de la production folk et rock. Des non-fleurs au parfum de désordre envoûtant !

Charles Robinson (à propos de Depraved Milk, de Bill van Cutten):

Depraved milk pose une ambiance spectrale assez brute, un genre de ghost rock en chambre grande ouverte (on entend tonner l'orage sur Hate) : maison éventrée, vidée, où les voix résonnent et les instruments ont de l'espace. Les tonalités sont lourdes, les guitares brouillées, les arrangements simples sont répétitifs et légèrement hypnotiques, ou hantés. Rien de morbide pourtant, parce que le tout est très sec, dénué de pathos et de folklore. Rien de poisseux, rien de pesant, simplement ce genre d'ambiance herbes folles, murs nus aux affiches lacérées, fumées traversantes, et la voix qui, du fait de la prise de son, donne un effet de proximité très grande à l'auditeur.

Bill van Cutten s'appuie sur un timbre de voix grave, retenu et posé, qui éveille le souvenir déjà un peu lointain d'un Jay Mascis apaisé. Il y a dans cette voix une indéniable dimension slacker, un air de faux fainéant. Ledit timbre est souvent souligné par un écho féminin, aigu et plus alangui (quasi morphinique sur White plastic horses), qui creuse derrière cette voix très proche des effets de profondeur, d'autant que la choriste varie d'un titre à l'autre.

Les arrangements s'appuient sur des détails simples qui acquièrent une grande présence sous la houlette de Phil Mother : passage insensible de la guitare acoustique à une légère électrification crépitante, voix téléphoniques sur It could have been something, saxophone sur Come, holy Mary, décalage des voix très souvent, scansion de batterie, sonorités bruitistes et parasites. Lcd. lighted est un des rares morceaux à fournir une accélération ou un énervement.

Les morceaux sont comme des miroirs posés en quinconce : une chanson en reflète ou en accueille une autre, une sonorité entendue revient là, et Depraved Milk confirme son statut de ghost rock dans cette dimension de maison hantée où les figures reviennent : un labyrinthe, ralenti et hypnotique.

Créateur de la pochette du disque, Bill van Cutten est aussi plasticien et, en concert, se fond dans le groupe Radio disorder.

Alain Bouaziz:
"Vincent Bullat pratique un dessin d’envahissement que la surface de papier peine à contenir. Pas de
composition préétablie, juste un thème (ici l’urbain) puis le geste se pose où le trait court. N’était-ce
l’impression d’une écriture automatique, les techniques d’expression choisies par Vincent Bullat sont
clairement des effets mis en scène. Il joue ici avec le brouillage des formes, là avec une atmosphère
empruntée à la peinture, ailleurs avec une dérive onirique d’essence littéraire ; chaque occasion paraît
puiser dans des concentrés de signes graphiques. Le rendu irrégulier ou faussement hésitant induit
chaque fois son origine humaine. Egalement proche d’une BD dont on aurait éparpillé ou recomposé les
cases, Vincent Bullat révèle parallèlement un goût discret pour la narration. Il s’en faut de peu que
l’ensemble s’apparente à ces fresques modernes que sont les murs graffités. La seconde impression qui
s’incarne est un univers citadain mobilisé par d’innombrables sources plastiques de présences et de
lieux...L’envahissement symbolique évoqué en préambule s’oppose éthiquement au décrochage psycho-
logique d’une île. Partant, l’assemblage des dessins devient un dispositif métaphorique qu’on peut com-
prendre comme une architecture. A partir de chaque trait, Vincent Bullat risque une trace urbaine d’”humanité".

Catalogue de l'exposition "Urbanités", centre d'art aponia, 2007

Jean-luc Parant:

Si d'autres yeux ne se sont pas ouverts à d'autres endroits de son corps pour lui montrer d'autres mondes, c'est parce que Vincent Bullat s'est ouvert dans sa tête pour penser. Il est fermé sur tout son corps pour s'être ouvert dans sa tête. Sa tête s'est fendue en mille endroits pour voir ce qu'il ne voyait pas avec ses seuls yeux. Vincent Bullat pense et voit ce que mille yeux ouverts partout sur son corps lui montreraient. Il dessine mais il s'éclaire, il s'éblouit, il s‘aveugle. Ses yeux qui se sont ouverts dans sa tête et qui dessinent ont trouvé en elle un autre soleil comme s'il s'était déplacé sous un autre ciel.
Vincent Bullat pense et dessine mais il ne voit pas seulement à partir du dessous de son front, il voit à partir du dessous de ses yeux qui voient, à partir de ses mains qui dessinent, à partir de tous les endroits de son corps. Il pense comme il dessine mais il est dans le feu, dans la chaleur de sa chair que l'obscurité de sa tête qui enveloppe son corps a transformé en une lumière si vive que son corps s'est ouvert au monde autour de lui. Il dessine mais il est complètement ouvert, à vif sur la terre, intouchable et si loin de tout que rien ne peut plus l'atteindre.
Vincent Bullat dessine et c'est comme s'il s'était ouvert des yeux partout, son corps est plein de ses dessins qui sont comme des milliers d'yeux, il regarde le monde de tous côtés quand il dessine et le monde le regarde. Il pense parce qu'il voit avec tout son corps qui dessine. Il est devenu reconnaissable à la moindre petite partie de lui-même, au moindre de ses dessins. Son corps est comme une autre tête immense qui se projette à toutes les tailles, à toutes les formes qu'il dessine dans le monde.
Son corps ne peut plus le cacher. Vincent Bullat dessine mille figures, mille faces, ses traits rayonnent de partout. Il pense et il est immense dans le jour et lumineux dans la nuit. Il dessine et il laisse des traces partout. Il touche tout et tout le touche.

 

(texte de présentation de l'exposition de vincent bullat "eaux ecarlates", galerie du haut pavé, 2007)

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